À moins de ne pas s’intéresser du tout à l’actualité ou si vous revenez d’un très long voyage aux confins de l’Amazonie, je ne dois pas vous étonner en vous disant que nous vivons actuellement une crise profonde.
Je n’ai probablement pas encore assez de recul pour avoir les idées tout à fait claires, et j’ai conscience que je risque d’écrire des inepties (ce ne sera pas la première fois) ou même de changer d’avis, plus tard, plus ou moins radicalement (ce ne sera pas la première fois non plus).
Mais je suis choqué et effrayé par l’actualité du moment, les replis sur soi et les replis nationaux qu’on peut observer ou encore par les raccourcis à la limite de la propagande qu’on entend parfois.
Les Allemands sont les bons élèves de l’Europe. Les Grecs sont des tricheurs, ils doivent payer maintenant. Les politiques sont tous des pantins. Tout ça, c’est la faute des spéculateurs. Etc, etc.
Tout cela manque cruellement de nuances, de raison et d’ouverture d’esprit.
Comme bien souvent, la crise que nous traversons prend ses racines dans la crise précédente, celle de 2008, qui s’était peu ou prou limitée aux secteurs financiers et dont nous croyions être sortis indemnes.
Pour se remettre rapidement les idées en têtes à propos de cette dernière:
Une bulle immobilière a éclaté en révélant une série de produits exotiques dans le bilan (et/ou hors bilan) des institutions financières (banques, assurances et compagnie). Ces produits complexes avaient pour but de recycler le risque des crédits immobiliers accordés.
Mais les effets combinés de la chute rapide des prix de l’immobilier, le défaut de créditeurs et les leviers incorporés dans ces produits ont tout d’un coup coûté extrêmement cher aux banques.
Certaines sont tombées en faillite (dont Lehman Brothers, l’exemple le plus retentissant), beaucoup étaient proche de cette situation.
Or, les banques sont un rouage très important de l’économie, notamment en termes de collecte et recyclage de l’épargne. Il n’était pas socialement acceptable qu’un grand nombre de citoyens perde partiellement ou totalement leur épargne dans cette crise et les banques ont donc été recapitalisées (c’est à dire sauvées) par les gouvernements (c’est à dire les contribuables).
Je ne vais pas m’arrêté trop longtemps sur la crise de 2008, ce n’est pas l’objet de cet article. Mais je ne voudrais pas que de ces quelques lignes, on tire la conclusion que les institutions financières (banques, assurances et compagnie) soient seules responsables. Ni même les vils spéculateurs, les traders fous… La réalité est plus complexe que ça.
Fin de l’aparté
La crise actuelle donc, a démarré là. Pour faire simple: les gouvernements ont dépensé tellement d’argent dans ces sauvetages qu’un nouveau facteur est apparu au grand jour. Ce facteur était pourtant bien présent depuis des années: les états occidentaux vivent au dessus de leurs moyens. Et pas que les gouvernements d’ailleurs, les occidentaux en général vivent au dessus de leurs moyens, à crédit.
Et nos débiteurs sont non seulement nous-mêmes (nous nous prêtons les uns aux autres des montants colossaux), mais aussi les pays émergents et, plus grave, les générations futures.
Européen moi-même, je vais m’attarder ici surtout sur le cas de l’Europe, bien que dans l’économie globalisée dans laquelle nous vivons, tout soit interconnecté.
Mais bon, il faut bien commencer quelque part.
En sortant complètement exsangue de la seconde guerre mondiale et de ses horreurs, l’Europe se jure de ne plus revivre ça. Ce vœux pieu nécessite rapidement une mise en pratique puisque en 1948, avec le Coup de Prague surgit la menace de l’Union Soviétique et avec elle la crainte d’une nouvelle guerre. Le CECA est alors créé, premier pas de la construction européenne.
Je ne veux pas faire ici un récit historique (que l’on peut trouver ici), mais je trouve important de noter que derrière la construction européenne il y a avant tout l’idée de paix.
Ensuite, les choses s’accélèrent pour arriver à la création (pour une partie des pays de l’union européenne) de l’Euro, une monnaie unique.
Il s’agit d’un grand pas pour les pays participants. En effet, un pays a principalement quatre leviers sur son économie:
- Les structures (lois, règlements…)
Ce levier est le plus lent à mettre en œuvre - Le fiscal (taxes et subsides)
- Le budgétaire (dépenses)
- Le monétaire (taux d’intérêt et taux de change)
En rentrant dans l’Euro, les pays ont délégué le leviers monétaire à l’Europe. Ils ont donc lâché une partie de leur souveraineté.
De plus, et ça paraît logique, tous ces leviers sont inter-dépendants. Donc, pour qu’une politique monétaire à l’échelle européenne soit efficace, il fallait que les pays membres aient une situation budgétaire (dettes et déficits) comparables et convergentes. Et bien entendu, il fallait préserver cette situation. C’est le rôle des
Critères de Maastricht.
En passant, la carte ci-dessus montre qu’en réalité bien peu de pays peuvent se vanter d’être des « bons élèves ».
En contrepartie, la zone Euro apporte une plus grande facilité dans les échanges et donc une augmentation de ceux-ci.
Mais au fait: la dette, le déficit, tout ça, c’est quoi?
Sur le principe, le fonctionnement de la dette pour un pays n’est pas bien différent de celui d’un ménage. En gros:
- Vous avez acheter une maison pour 1.000: c’est votre dette
- Vous gagner 100 par mois mais vous dépensez 105 (sans les intérêts de votre emprunt): votre déficit primaire vaut 5
- En tenant compte des intérêts de votre dette, vous dépensez 110: votre déficit vaut 10
Une différence majeure toutefois avec un ménage, c’est que l’état a une durée de vie illimitée (sur papier). Dès lors, il est capable d’emprunter beaucoup plus, tant qu’un remboursement semble réaliste. On évalue ça notamment par le déficit/excédent, mais aussi avec la croissance (qui permet d’augmenter les revenus à taxation inchangée).
La complexité vient surtout des problèmes de mesure et de la variabilité de ces chiffres dans le temps. Avec une forte croissance, il est possible de faire diminuer sa dette même avec un petit déficit. Malheureusement, avec une croissance nulle (comme c’est le cas actuellement), même un petit déficit fait croître la dette.
Le levier budgétaire n’est pas toujours évident à utiliser. Et ce pour plusieurs raison: d’abord parce qu’il est plus facile de dépenser que d’économiser, ensuite par ce que le choix des dépenses résulte bien souvent de négociations entre plusieurs partenaires (syndicats, lobbying…) et enfin parce que c’est un acte éminemment politique (choix de viser un secteur, une région, un groupe de population…). Ce dernier point est particulièrement vrai en ce qui concerne les coupes budgétaires.
Nous connaissons tous les dépenses de l’état: allocations de chômage, soins de santé, éducation, infrastructures… Elles contribuent à la mise en pratique et à la préservation de nos valeurs (solidarité, culture…).
Mais la politique budgétaire sert aussi à lisser les cycles économiques: quand l’économie va mal, l’état peut (intelligemment) augmenter ses dépenses afin de soutenir l’emploi, la croissance… Il a pour ça recourt à l’endettement. Et comme l’état travaille sur un horizon de long terme, ce n’est pas forcément un problème. Ce sont les politiques de relance dites keynésienne, du nom de la personne à l’origine de l’idée, John Maynard Keynes.
Mais ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que à contrario, il faudrait réduire les dépenses quand la croissance est revenue, afin de réduire la dette et la maintenir à un niveau acceptable! Il semble que ce dernière point ait bien souvent été oublié…
Bon, bottom line, les états européens sont trop endettés et ont des déficits trop importants. À partir de là, sur papier, la solution est simple: il faut augmenter les revenus (croissance et taxes) et/ou baisser les dépenses.
Et bien que ce soit simple sur papier, en pratique, c’est une autre paire de manches! Car nous nous sommes habitués à notre niveau de vie, et le réduire, ou à tout le moins le changer, ça ne va pas être facile. Précisément parce que la modification du budget est un acte éminemment politique.
De là les replis nationaux dans les discussions internationales (chaque politique défendant son électorat) et les problèmes sociaux au sein de chaque pays (chaque groupe préférant qu’un autre paie, les chômeurs – ces bons à rien, les riches – ces parasites, les banques – ces voleurs…). Bref, tout le monde cherche un bouc émissaire, responsable de cette crise.
Je pense pourtant que nous avons tous une part de responsabilité dans cette histoire, car nous en avons tous profité! Le fait est que ça fait des années que nous vivons au-dessus de nos moyens et que pour remettre les choses en place, il faudra non seulement de l’austérité mais surtout un nouveau projet de société. Une « simple » modification du budget ne suffira pas. Il faut des mesuresstructurelles qui nous obligeront à repenser nos priorités et se concentrer sur ce qui est vraiment important. Et ce processus sera long, n’en doutons pas. Il est illusoire de penser que nous rétablirons la situation en quelques mois.
Cependant, cette crise peut être vue comme une opportunité de faire table rase et de faire un nouveau contrat social. Et pour moi, ça ne passe pas par le repli sur soi et la fin de l’Europe, que du contraire. Notre union nous a permis de vivre en paix pendant plus de 66 ans, et malgré des erreurs de parcours, des hauts et des bas, il me semble que nous vivons mieux qu’avant!
L’austérité n’est pas un vrai problème. Nous sommes capables de passer aux travers des épreuves, si c’est pour un projet digne de ce nom et démocratique.
C’est ce projet qui manque aujourd’hui. Et c’est pour ça que personne ne veut de l’austérité.
Mais j’ai la naïveté de croire que l’on peut s’engager dans cette voie. Mais il faudra faire preuve de tolérance, d’ouverture d’esprit et de patience. Car ça ne s’arrangera pas du jour au lendemain!